Titre: Égalité des hommes et des femmes 
Auteur: de Gournay, Marie (1565-1645)
Date de publication: 1622
Édition transcrite: (Paris: n.a., 1622)
Source de l’édition: Bibliothèque Nationale de France Transcription par: Yanicka Poirier, Charlotte Sabourin et Mathieu Baril, université McGill, 2016. Principes généraux de transcription: Les numéros de pages originaux ont été inclus dans le corps du texte entre crochets.
Statut: Complétée et corrigée, version 1.0, octobre 2016. Ce travail fait partie du projet L’égalité et la supériorité dans les traités féministes de la Renaissance et de l’époque moderne, un projet financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. LE TEXTE COMMMENCE APRÈS CETTE LIGNE EGALITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES. A LA REYNE. M. DC. XXII. [3] A LA REYNE. MADAME, Ceux qui s’adviserent de donner un Soleil pour devise au Roy vostre Pere, avec ce mot, Il n’a point d’Occident pour moy, firent plus qu’ils ne pensoient : parce qu’en representans sa grandeur qui voit presque toujours ce Prince des Astres sur quelqu’une de ses terres, sans intervale de nuict ; ils rendirent la devise hereditaire en vostre Majeste, presageans vos vertus, & de plus, la beatitude des François sous vostre Auguste presence. C’est dis je chez vostre Majesté, Madame, que la lumiere des vertus n’aura point d’Occident, ny cõsequemment l’heur & la felicitè de nos Peuples qu’elles esclairerõt. Or comme vous estes en l’Orient de vostre aage & de vos vertus [4] ensemble, Madame, daignez prendre courage d’arriver en mesme point au midy de luy & d’elles, je dis de celles qui ne peuvent meurir que par temps & culture : car il en est quelques unes des plus recommendables, entre autre la Religion, la charitè vers les pauvres, la chasteté & l’amour conjugale, dont vous avez touché le midy dés le matin. Mais certes il faut le courage requis à cet effort aussi grand & puissant que vostre Royauté, pour grande & puissante qu’elle soit : les Roys estãt battus de ce malheur, que la peste infernale des flatteurs qui se glissent dans les Palais, leur rend la vertu & la clair voyance sa guide & sa nourrice, d’un accez infiniment plus difficile qu’aux inferieurs. Je ne sçay qu’un seur moyen à vous faire esperer, d’atteindre ces deux midys en mesme instant : c’est qu’il plaise à V.M se jetter vivement sur les bons livres de prudence & de mœurs : car außi tost qu’un Prince s’est relevé l’esprit par cet exercice, les flatteurs se trouvans les moins fins ne s’osent plus jouër à luy. Et ne peuvent communemẽt les Puissans & les Roys recevoir instruction opportune que des mors : parce que les vivans estans partis en deux bandes, les foux & meschans, c’est à dire ces flateurs dont est [5] question, ne sçavent ny veulent bien dire pres d’eux ; les sages & gens de bien peuvent & veulent, mais ils n’osent. C’est en la vertu certes, MADAME, qu’il faut que les personnes de vostre rang cherche la vraye hautesse & la Couronne des Couronnes : d’autant qu’ils ont puissance & non droit de violer les loix & l’equité, & qu’ils trouvent autant de peril & plus de honte que les autres hommes à faire ce coup. Außi nous apprend un grand Roy luy mesme, que toute la gloire de la fille du Roy est par dedans. Quelle est cependant ma rusticité, tous autres abordent leurs Princes & Roys en adorant & loüant, j’ose aborder ma Reyne en preschant ? Pardonnez neantmoins à mon zele, MADAME, qui meurt d’envie d’ouyr la France crier ce mot, avec applaudissement, La lumiere n’a point d’Occident pour moy, par tout où passera vostre MAJESTÉ nouveau Soleil des vertus : & d’envie encore de tirer d’elle ; ainsi que j’espere de ses dignes commencemens, une des plus fortes preuves du Traictè que j’offre à ses pieds, pour maintenir l’egalité des hommes & des femmes. Et non seulement veu la grandeur unique qui vous est acquise par naissance & par mariage, vous servirez de miroir au sexe [6] & de sujet d’emulation aux hommes encore, en l’estẽduë de l’Univers, si vous vous eslevez au prix & merite que je vo propose : mais außi tost, MADAME, que vous aurez pris resolution de vouloir luyre de ce bel & precieux esclat, on croira que tout le mesme sexe esclaire en la splendeur de vos rayons. Je suis de vostre Majesté MADAME, Tres-humble & Tres-obeissante servante & subjecte. GOURNAY. [7] EGALITÉ DES HOMMES & DES FEMMES. LA pluspart de ceux qui prennẽt la cause, des femmes, contre cette orgueilleuse preferance que les hommes s’attribuent, leur rendent le change entier : r’envoyans la preference vers elles. Moy qui fuys toutes extremitez, je me contente de les esgaler aux hommes : la nature s’opposant pour ce regard autant à la superiorité qu’à l’inferiorité. Que dis-je, il ne suffit pas à quelques gens de leur preferer le sexe masculin, s’ils ne les confinoient encores d’un arrest irrefragable & necessaire à la quenoüille, ouy mesme à la quenouille seule. Mais ce qui les peut consoler contre ce mespris, c’est qu’il [8] ne se faict que par ceux d’entre les hommes ausquels elles voudroient moins ressembler : personnes à donner vray semblance aux reproches qu’on pourroit vosmir sur le sexe feminin, s’ils en estoient, & qui sentent en leur cœur ne se pouvoir recommãder que par le credit de l’autre. D’autant qu’ils ont ouy trompetter par les ruës, que les femmes manquent de dignité, manquent aussi de suffisance, voire du temperament & des organes pour arriver à cette-cy, leur eloquence triomphe à prescher ces maximes : & tant plus opulemment, de ce que, dignité, suffisance, organes & temperament sont beaux mots : n’ayans pas appris d’autre part, que la premiere qualité d’un mal habill’homme, c’est de cautionner les choses soubs la foy populaire & par ouyr dire. Voyez tels esprits comparer ces deux sexes : la plus haute suffisance à leur advis où les femmes puissent arriver, c’est de ressembler le commun des hommes : autant eslongnez d’imaginer, qu’une grande femme se peut dire grand homme, le sexe chãgé, que de consentir qu’un homme se [9] peust eslever à l’estage d’un Dieu. Gens plus braves qu’Hercules vrayement, qui ne desfit que douze monstres en douze combats ; tandis que d’une seule parolle ils desfont la moitié du Monde. Qui croira cependant, que ceux qui se veulent eslever & fortifier de la foiblesse d’autruy, se puissent eslever ou fortifier de leur propre force ? Et le bon est, qu’ils pensent estre quittes de leur effronterie à vilipender ce sexe, usants d’une effronterie pareille à se loüer & se dorer eux mesmes, je dis par fois en particulier comme en general, voire à quelque tort que ce soit : comme si la verité de leur vãterie recevoit mesure & qualité de son impudence. Et Dieu sçait si je congnois de ces joyeux vanteurs, & dont les vanteries sont tantost passées en proverbe, entre les plus eschauffez au mespris des femmes. Mais quoy, s’ils prennent droict d’estre galans & suffisans hommes, de ce qu’ils se declarent tels cõme par Edict ; pourquoy n’abestiront ils les femmes par le contrepied d’un autre Edict ? Et si je juge bien, soit de la dignité, soit de la capacité des da-[10]mes, je ne pretends pas à cette heure de le prouver par raisons, puisque les opiniastres les pouroient debattre, ny par exemples, d’autant qu’ils sont trop cõmuns ; ains seulement par l’aucthorité de Dieu mesme, des arcsboutans de son Eglise & de ces grands hommes qui ont servy de lumiere à l’Univers. Rangeons ces glorieux tesmoins en testes, & reservons Dieu, puis les Saincts Peres de son Eglise, au fonds, comme le tresor. Platon à qui nul n’a debattu le tiltre de divin, & consequemment Socrates son interprete & Protecole en ses Escripts ; (s’il n’est là mesme celuy de Socrates, son plus divin Precepteur) leur assignent mesmes droicts, facultez & functions, en leurs Republiques & par tout ailleurs. Les maintiennent, en outre, avoir surpassé maintefois tous les hommes de leur Patrie : comme en effect elles ont inventé partie des plus beaux arts, ont excellé, voire enseigné cathedralement & souverainement sur tous les hommes en toutes sortes de perfections & vertus, dans les plus fa-[11]meuses villes antiques entre autre Alexandrie, premiere de l’Empire apres Rome [Hypathia.]. Dont il est arrivé que ces deux Philosophes, miracles de Nature, ont creu dõner plus de lustre à des discours de grand poix, s’ils les prononçoient en leurs livres par la bouche de Diotime & d’Aspasie : Diotime que ce dernier ne craint point d’appeller sa maistresse & Preceptrice, en quelques unes des plus hautes sciences, luy Precepteur & maistre du genre humain. Ce que Theodoret releve si volontiers en l’Oraison de la Foy, ce me semble ; qu’il paroist bien que l’opinion favorable au sexe luy estoit fort plausible. Apres tous ces tesmoignages de Socrates, sur le saict [sic] des dames ; on void assez que s’il lache quelque mot au Sympose de Xenophon contre leur prudence, à comparaison de celle des hommes, il les regarde selon l’ignorance & l’inexperience où elles sont nourries, ou bien au pis aller en general, laissant lieu frequent & spatieux aux exceptions : à quoy les deviseurs dont il est question ne s’entendent point. [12] Que si les dames arrivẽt moins souvẽt que les hõmes, aux degrez d’excellence, c’est merveille que le deffaut de bonne instructiõ, voire l’affluẽce de la mauvaise expresse & professoire ne face [sic] pis, les gardant d’y pouvoir arriver du tout. Se trouve til plus de difference des hommes à elles que d’elles à elles mesmes, selon l’institution qu’elles ont prinse, selon qu’elles sont eslevées en ville ou village, ou selon les Nations ? Et pourquoy leur institution ou nourriture aux affaires & Lettres à l’egal des hommes, ne rempliroit elle ce vuide, qui paroist ordinairement entre les testes des mesmes hommes & les leurs : puis que la nourriture est de telle importance qu’un de ses membres seulement, c’est à dire le commerce du monde, abondant aux Françoises & aux Angloises, & manquant aux Italiennes, celles cy sont de gros en gros de si loing surpassées par celles là ? Je dis de gros en gros, car en detail les dames d’Italie triumphent par fois : & nous en avons tiré deux Reynes à la prudence desquelles la France a trop d’obligation. Pourquoy vrayment [13] la nourriture ne frapperoit elle ce coup, de remplir la distance qui se void entre les entendemens des hommes & des femmes ; veu qu’en cet exemple icy le moins surmonte le plus, par l’assistance d’une seule de ses parcelles, je dis ce cõmerce & conversatiõ : l’air des Italiẽnes estant plus subtil & propre à subtilizer les esprits, comme il paroist en ceux de leurs hommes, confrontez communement contre ceux là des François & des Anglois ? Plutarque au Traicté des vertueux faicts des femmes maintient ; que la vertu de l’homme & de la femme est mesme chose. Seneque d’autre part publie aux Consolations ; qu’il faut croire que la Nature n’a point traicté les dames ingratement, ou restrainct & racourcy leurs vertus & leurs esprits, plus que les vertus & les esprits des hõmes : mais qu’elle les a doüées de pareille vigueur & de pareille faculté à toute chose honeste & loüable. Voyons ce qu’en juge apres ces deux, le tiers chef du Triūvirat de la sagesse humaine & morale en ses Essais. Il luy semble, dit il, & si ne sçait pourquoy, qu’il se [14] trouve rarement des femmes dignes de commander aux hommes. N’est ce pas les mettre en particulier à l’egale contrebalance des hommes, & confesser, que s’il ne les y met en general il craint d’avoir tort : bien qu’il peust excuser sa restrinction, sur la pauvre & disgraciée nourriture de ce sexe. N’oubliant pas au reste d’alleguer & relever en autre lieu son mesme livre, cette authorité que Platon leur depart en sa Republique : & qu’Anthisthenes nioit toute difference au talent & en la vertu des deux sexes. Quant au Philosophe Aristote, puisque remuant Ciel & terre, il n’a point contredit en gros, que je scache, l’opinion qui favorise les dames, il l’a confirmée : s’en rapportant, sans doubte, aux sentences de son pere & grand pere spirituels, Socrates & Platõ, comme à chose constante & fixe soubs le credit de tels personnages : par la bouche desquels il faut advoüer que le genre humain tout entier, & la raison mesme, ont prononcé leur arrest. Est il besoing d’alleguer infinis autres anciens & modernes de nom illustre, ou parmy [15] ces derniers, Erasme, Politien, Agripa, ny cet honneste & pertinent Precepteur des courtizans : outre tant de fameux Poëtes si contrepoinctez tous ensemble aux mespriseurs du sexe feminin, & si partisans de ses advantages aptitude & disposition à tout office & tout exercice louable & digne [Erasme Epist : & Colloq. Politia : Epist. Agripa Precel : du sexe feminin. Courtizan.] ? Les dames en verité se consolent, que ces descrieurs de leur merite ne se peuvent prouver habiles gens, si tous ces esprits le sont : & qu’un homme fin ne dira pas, encores qu’il le creust, que le merite & passedroit du sexe feminin tire court, pres celuy du masculin ; jusques à ce que par arrest il ait faict declarer tous ceux là buffles, affin d’infirmer leur tesmoignage si contraire à tel decry. Et buffles faudroit il encores declarer des Peuples entiers & des plus sublins, entre autres ceux de Smyrne en Tacitus : qui pour obtenir jadis à Rome presseãce de noblesse sur leurs voisins, allegoient estre descendus, ou de Tantalus fils de Jupiter ou de Theseus petit fils de Neptune ou d’une Amazone, laquelle par ce moyen ils contrepesoient [16] à ces Dieux. Pour le regard de la loy Salique, qui prive les femmes de la couronne, elle n’a lieu qu’en France. Et fut invẽtée au temps de Pharamond, pour la seulle consideration des guerres contre l’Empire duquel nos Peres secoüoient le joug : le sexe feminin estant vray semblablement d’un corps moins propre aux armes, par la necessité du port & nourriture des enfans. Il faut rémarquer encores neantmoins, que les Pairs de France ayans esté créez en premiere intention comme une espece de personniers des Roys, ainsi que leur nom le declare : les dames Pairaisses de leur chef on seance, privilege & voix deliberative par tout où les Pairs en ont & de mesme estendue [Hotman pour l’etymologie des Pairs : du Tillet & Math. Histoire du Roy pour les Dames Rairresses.]. Comme aussi les Lacedemoniens ce brave & genereux Peuple, consultoit de toutes affaires privées & publiques avec ses femmes [Plut.]. Bien à servy cependant aux François, de trouver l’invention des Regentes, pour un equivalent des Roys ; car sans cela combien y a il que leur estat fust par terre ? Nous sçaurions bien dire aujourd’huy par espreuve, quelle necessi-[17]té les minoritez des Roys ont de cette recepte. Les Germains ces belliqueux Peuples, dit Tacitus, qui apres plus de deux cens ans de guerre, furent plustost triumphéz que vaincus ; portoient dot à leurs femmes, non au rebours. Ils avoient au surplus des Nations, qui n’estoient jamais regies que par ce sexe Et quand Ænee presente à Didon le sceptre d’Ilione, les scoliastes disent, que cela provient, de ce que les dames filles aisnées, telle qu’estoit cette Princesse, regnoient anciennement aux maisons Royalles. Veult on deux plus beaux envers à la loy Salique, si deux envers elle peut souffrir ? Si ne mesprisoient pas les femmes nos anciens Gaulois, ny les Carthaginois aussi ; lors qu’estans unis en l’armée d’Hanibal pour passer les Alpes, ils establirent les dames Gauloises arbitres de leurs differends. Et quand les hommes desroberoient à ce sexe en plusieurs lieux, part aux meilleurs advantages ; l’inegalité des forces corporelles plus que des spirituelles, ou du merite, peut facilement estre cause du larrecin & de sa souffrance : forces [18] corporelles, qui sont vertus si basses, que la beste en tient plus par dessus l’homme, que l’homme par dessus la femme. Et si ce mesme Historiographe Latin nous apprend, qu’où la force regne, l’equité, la probité, la modestie mesme, sont les attributs du vainqueur ; s’estonnera-on, que la suffisance & les merites en general, soient ceux de nos hommes, privativement aux femmes. Au surplus l’animal humain n’est homme ny femme, à le bien prendre, les sexes estants faicts non simplement, mais secundum quid, comme parle l’Eschole : c’est à dire pour la seule propagation. L’unique forme & difference de cet animal, ne consiste qu’en l’ame humaine. Et s’il est permis de rire en passãt, le quolibet ne sera pas hors de saisõ, nous apprenant ; qu’il n’est rien plus semblable au chat sur une fenestre, que la chatte. L’homme & la femme sont tellement uns, que si l’homme est plus que la femme, la femme est plus que l’homme. L’homme fut creé masle & femelle, dit l’Escriture, ne comptant ces deux que pour un. Dont Jesus-Christ est appellé [19] fils de l’homme, bien qu’il ne le soit que de la femme. Ainsi parle apres le grãd Sainct Basile : La vertu de l’homme & de la femme est mesme chose, puis que Dieu leur a decerné mesme creation & mesme honneur : masculum & foeminin am feciteos [Homil.1.]. Or en ceux de qui la Nature est une & mesme, il faut que les actions aussi le soient, & que l’estime & loyer en suitte soient pareils, où les œuvres sont pareilles. Voila donc la deposition de ce puissant pilier, & venerable tesmoing de l’Eglise, Il n’est pas mauvais de se souvenir sur ce poinct, que certains ergotistes anciens, ont passé jusques à cette niaise arrogance, de debattre au sexe feminin l’image de Dieu a difference de l’homme : laquelle image ils devoient, selon ce calcul attacher à la barbe. Il failloit de plus & par consequent, desnier aux femmes l’image de l’homme, ne pouvant luy resssembler, sans qu’elles ressemblassent à celuy auquel il ressemble. Dieu mesme leur à [sic] departy les dons de Prophetie indifferamment avec les hommes [Olda. Debora.], les ayant establies aussi pour Juges, instructrices [20] & conductrices de son Peuple fidelle en paix & en guerre : & qui plus est, rendu triumphantes avec luy des hautes victoires, qu’elles aussi ont maintefois emportées & arborées en divers lieux du Monde : mais sur quelles gens, à vostre advis ? Cyrus & Theseus : à ces deux on adjouste Hercules, lequel elles ont sinon vaincu, du moins bien battu. Aussi fut la cheute de Pentasilée, couronnemẽt de la gloire d’Achilles : oyez Seneque & Ronsard parlant de luy. L’Amazone il vainquit dernier effroy des Grecs. Penstasilée il rua sur la poudre. Ont elles au surplus, (ce mot par occasion) moins excellé de foy, qui comprend toutes les vertus principales, que de suffisance & de force magnanime & guerriere ? Paterculus nous apprend, qu’aux proscription [sic] Romaines, la fidelité des enfãs fut nulle, des affranchis legere, des femmes tresgrande. Que si Sainct Paul, suyvãt ma route des tesmoignages saincts, leur deffend le ministere & leur commande le silence en l’Eglise : il est evident que ce n’est point [21] par aucun mespris : ouy bien seulement, de crainte qu’elles n’esmeuvent les tentations, par cette montre si claire & publique qu’il faudroit faire en ministrant & preschant, de ce qu’elles ont de grace & de beauté plus que les hommes. Je dis que l’exemption de mespris est evidente, puisque cet Apostre parle de Thesbé comme de sa coadiutrice en l’œuvre de notre Seigneur, sans toucher le grand credit de Sainte Petronille vers sainct Pierre : & puis aussi que la Magdelaine est nommée en l’Eglise egale aux Apostres, par Apostolis [Entre autres au Calendrier des Grecs, publié par Genebrard.]. Voire que l’Eglise & eux-mesmes ont permis une exception de ceste reigle de silence pour elle, qui prescha trente ans en la Baume de Marseille au rapport de toute la provence. Et si quelqu’un impugne ce tesmoignage de predications, on luy demandera que faisoient les Sibyles, sinon prescher l’Univers par divine inspiration, sur l’evenement futur de Jesus-Christ ? Toutes les anciennes Nations cõcedoient la Prestrise aux fẽmes, indifferemment avec les hommes. Et les Chrestiens sont au moins forcez [22] de consentir, qu’elles soyent capables d’appliquer le Sacrement de Baptesme : mais quelle faculté de distribuer les autres, leur peut estre justement deniée ; si celle de distribuer cestuy-là, leur est justement accordé [sic] ? De dire que la necessité des petits enfãs mourãs, ait forcé les Peres anciens d’establir cet usage en despit d’eux : il est certain qu’ils n’auroient jamais creu que la necessité les peust dispenser de mal faire, jusques aux termes de permettre violer & diffamer l’application d’un Sacrement. Et partant concedans ceste faculté de distribution aux femmes, on void à clair qu’ils ne les ont interdites de distribuer les autres Sacremẽs, que pour maintenir tousjours plus entiere l’auctorité des hommes ; soit pour estre de leur sexe, soit afin qu’à droit ou à tort, la paix fust plus asseurée entre les deux sexes, par la foiblesse & ravallement de l’un. Certes sainct Jerosme escrit sagement à nostre propos ; qu’en matiere du service de Dieu, l’esprit & la doctrine doivent estre considerez, non le sexe. [Epist.] Sentence qu’on doit generaliser, pour permettre aux Dames [23] à plus forte raison, toute action & sciẽce honneste : & cela suyvant aussi les intentions du mesme sainct, qui de sa part honnore & auctorise bien fort leur sexe. Davantage sainct Jean l’Aigle & le plus chery des Evangelistes, ne mesprisoit pas les fẽmes, non plus que sainct Pierre, sainct Paul & ces deux Peres, j’entends sainct Basile & sainct Jerosme ; puis qu’il leur addresse ses Epistres particulieremẽt [Electra] : sans parler d’infinis autres Ss : ou Peres, qui font pareille addresse de leurs Escrits. Quand au faict de Judith je n’en daignerois faire mention s’il estoit particulier, cela s’appelle dependant du mouvement & volonté de son auctrice : non plus que je ne parle des autres de ce qualibre ; bien qu’ils soient immenses en quantité, comme ils sont autant heroiques en qualité de toutes sortes, que ceux qui couronnent les plus illustres hommes. Je n’enregistre point les faicts privez, de crainte qu’ils semblent, non advantages & dons du sexe, ains boüillons d’une vigueur privée & specialle. Mais celuy de Judith merite place en ce lieu, parce qu’il est [24] bien vray que son dessein tombant au cœur d’une jeune dame, entre tant d’hommes lasches & faillis de cœur, à tel besoing en si haulte & si difficile entreprise, & pour tel fruict, que le salut d’un Peuple & d’une Cité fidelle à Dieu : semble plustost estre une inspiration & prerogative divine vers les femmes, qu’un traict purement voluntaire. Comme aussi le semble estre celuy de la Pucelle d’Orleans, accompagné de mesmes circonstances environ, mais de plus ample & large utilité, s’estendant jusques au salut d’un grand Royaume & de son Prince. Cette illustre Amazone instruicte aux soins de Mars, Fauche les escadrons & brave les hazars : Vestant le dur plastron sur sa ronde mammelle, Dont le bouton pourprè de graces estincelle : Pour couronner son chef de gloire & de lauriers, Vierge elle ose affronter les plus fameux guerriers. [Æneid.1.allusion.] [25] Adjoustons que la Magdelene est la seule ame, à qui le Redempteur ait jamais prononcé ce mot, & promis cette auguste grace : En tous lieux où se preschera l’Evangile il sera parlé de toy. Jesus-Christ d’autrepart, declara sa tres heureuse & tres glorieuse resurrection aux dames les premieres, affin de les rẽdre, dit un venerable Pere ancien, Apostresses aux propres Apostres : cela, cõme lon sçait, avec mission expresse : Va, dit il, à cette cy mesme, & recite aux Apostres & à Pierre ce que tu as veu. Surquoy il faut notter, qu’il manifesta sa nouvelle naissance esgalement aux femmes qu’aux hommes, en la personne d’Anne fille de Phannel, qui le recongneut en mesme instant, que le bon vieillard Sainct Simeon. Laquelle naissance, d’abondant, les Sybilles nommées, ont predite seules entre les Gentils, excellent privilege du sexe feminin. Quel honneur faict aux femmes aussi, ce songe survenu chez Pilate ; s’addressant à l’une d’elles privativement à tous les hommes, & en telle & si haulte occasion. Et si les hommes se vantent, que [26] Jesus-Christ soit nay de leur sexe, on respond, qu’il le falloit par necessaire bien sceance, ne se pouvant pas sans scandale, mesler jeune & à toutes les heures du jour & de la nuict parmy les presses, aux fins de convertir, secourir & sauver le genre humain, s’il eust esté du sexe des femmes : notamment en face de la malignité des Juifs. Que si quelqu’un au reste est si fade ; d’imaginer masculin ou feminin en Dieu, bien que son nom semble sonner le masculin, ny consequemment besoin d’acception d’un sexe plustost que de l’autre, pour honnorer l’incarnation de son fils ; cettuy cy monstre à plein jour, qu’il est aussi mauvais Philosophe que Theologien. D’ailleurs, l’advantage qu’ont les hommes par son incarnation en leur sexe ; (s’ils en peuvent tirer un advantage, veu cette necessitée remarquée) est cõpensé par sa conception tres precieuse au corps d’une femme, par l’entiere perfection de cette femme, unique à porter nom de parfaicte entre toutes les creatures purement humaines, depuis la cheute de nos premiers parens, & [27] par son assumption unique en suject humain aussi. Finalement si l’Escripture a declaré le mary, chef de la femme, la plus grande sottise que l’homme peust faire, c’est de prendre cela pour passedroict de dignité. Car veu les examples, aucthoritez & raisons nottées en ce discours, par où l’egalité des graces & faveurs de Dieu vers les deux especes ou sexes est prouvée, voire leur unité mesme, & veu que Dieu prononce : Les deux ne seront qu’un : & prononcé encores : L’hõme quittera pere & mere pour suivre sa femme ; il paroist que cette declaration n’est faicte que par le besoin expres de nourrir paix en mariage. Lequel besoin requeroit, sans doubte, qu’une des parties cédast à l’autre, & la prestance des forces du masle ne pouvoit pas souffrir que la soubmissiõ veīt de sa part. Et quand bien il seroit veritable, selon que quelques uns maintiennent, que cette soubmission fut imposée à la femme pour chastiement du peché de la pomme : cela encores est bien esloigné de conclure à la pretendue prefe-[28]rance de dignité en l’homme. Si lon croioit que l’Escripture luy commandast de ceder à l’homme, comme indigne de le contrecarrer, voyez l’absurdité qui suivroit : la femme se treuveroit digne d’estre faicte à l’image du Createur, de jouyr de la tressaincte Eucaristie, des mysteres de la Redemptiõ, du Paradis & de la vision voire possession de Dieu, non pas des advantages et privileges de l’homme : seroit ce pas declarer l’homme plus precieux & relevé que telles choses, & partant commettre le plus grief des blasphemes ? FIN.