Title: “Égalité des hommes et des femmes.” Les advis ou Les présens de la demoiselle de Gournay
Author: de Gournay, Marie (1565-1645)
Date of publication: 1622
Edition transcribed: (Paris: Jean du Bray, 1641)
Source of edition: Bibliothèque nationale de France
<http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71929v.r=gournay%20les%20advis?rk=42918;4>
Transcribed by: Mathieu Baril and Charlotte Sabourin, McGill University, 2015.
Transcription conventions: Original page numbers have been supplied in the body of the text in brackets.
Status: Completed and corrected, version 1.0, October 2016.
Produced as part of Equality and superiority in Renaissance and Early Modern pro-woman treatises, a project funded by the Social Sciences and Humanities Research Council of Canada.
TEXT BEGINS FOLLOWING THIS LINE
[292] A LA REYNE,
Luy presentant l’EGALITÉ,
des hommes et des femmes.
MADAME,
Ceux qui s’adviserent de donner un Soleil pour devise au feu Roy vostre Pere, avec ce mot, « Il n’a point d’Occident pour moy », firent plus qu’ils ne pensoient : parce qu’en representans sa Grandeur qui voyoit presque tousjours sans intervale ce Prince des Astres sur quelqu’une de ses Terres ; ils rendirent la devise hereditaire en vostre Majesté, presageans vos Vertus, lumiere et felicité des Peuples. C’est dis-je chez vostre Majesté, Madame, que la Lumiere des Vertus n’aura point d’Occident, alors que le temps aura converty leur fleur en fruict : et consequemment la felicité des François qu’elles esclaireront, n’aura point d’Occident encore. Or comme vous estes en l’Orient de vostre aage et de vos Vertus ensemble, Madame, daignez prendre courage d’arriver à leur Midy, au mesme temps que vous arriverez à celuy de vos années : j’entends au Midy des [293] Vertus, qui ne peuvent meurir que par loisir et par culture : car il en est quelques-unes des plus recommandables, entre autres la Religion, la charité vers les pauvres, la chasteté et l’amour conjugale, que le noble instinct de la Nature et l’heureuse naissance, peuvent inspirer d’eux-mesmes ; desquelles aussi vous avez touché le midy dès vostre matin. Mais certes, il faut le courage requis à cét effort aussi grand et puissant que vostre Royauté, pour grande et puissante qu’elle soit : les Roys estant battus de ce mal-heur, que la peste infernale des flatteurs qui se glissent dans les Palais, leur rend la Vertu et sa guide, la Clair-voyance, d’un accez infiniment plus difficile qu’aux inferieurs. Je ne sçay qu’un seur moyen à vous faire esperer, d’atteindre ces deux midys de l’aage et des vertus en mesme instant : c’est qu’il plaise à vostre Majesté de se jetter vivement sur les bons Escrits de Prudence et de Mœurs : car aussi tost qu’un Prince s’est relevé l’esprit par cét exercice, les flatteurs se trouvans les moins fins ne s’osent plus jouer à luy. Et ne peuvent communément les Puissants et les Roys recevoir instruction opportune que des morts : pource que ceux qui environnent les Grands estans partis en deux Bandes, les fous et les meschans, c’est à dire ces flatteurs, ne sçavent ny ne veulent bien dire autour de leurs oreilles : les sages et les gens de bien le peuvent et le veulent, mais ils n’osent. C’est en la Vertu, Madame, qu’il faut que les Personnes de vostre rang cherchent la vraye hautesse, et la Couronne des Couronnes : d’autant qu’elles ont puissance, et non droict, de violer [294] les Loix et l’Equité, et qu’elles rencontrent autant de peril et plus de honte que les autres, à commettre cét excès. Aussi nous apprend un grand Roy lui-mesme ; Que toute la gloire de la Fille du Roy est en l’interieur. Quelle est cependant ma rusticité ? tous autres abordent leurs Princes et leurs Roys en adorant et louant ; j’ose aborder ma Reyne en preschant ! Pardonnez neantmoins à mon zele, Madame, qui brusle d’envie d’ouyr la France crier ce mot, avec applaudissement ; « La Lumiere n’a point d’Occident pour moy », par tout où passera vostre Majesté, nouveau Soleil des Vertus ; et qui desire encore de tirer d’elle, ainsi que j’espere de ses dignes commencemens, une des plus fortes preuves du Traicté que j’offre à ses pieds, pour maintenir l’Egalité des hommes et des femmes. Et non seulement veu la Grandeur unique qui vous est acquise par naissance et par mariage, vous servirez de miroir au sexe, et de sujet d’émulation aux hommes, en l’estendue de l’Univers, si vous daignez vous eslever au poinct de merite et de perfection que je vous propose par le secours de ces grands Livres : mais aussi-tost, Madame, que vous aurez pris resolution de vouloir luyre de ce precieux esclat, on croira que tout le mesme sexe esclaire en la splendeur de vos rayons. Je suis de vostre Majesté,
MADAME,
Tres-humble et tres-obeissante
subjecte et servante, GOURNAY.
1624.
[295] EGALITÉ DES HOMMES ET DES
FEMMES.
La pluspart de ceux qui prennent la cause des femmes, contre cette orgueilleuse preferance que les hommes s’attribuent, leur rendent le change entier : car ils renvoyent la preference vers elles. Quant à moy qui fuis toutes extremitez, je me contente de les esgaler aux hommes : la Nature s’opposant aussi pour ce regard, autant à la superiorité qu’à l’inferiorité. Que dis-je ? il ne suffit pas à quelques gens de leur preferer le sexe masculin, s’ils ne les confinoient encores d’un arrest irrefragable et necessaire à la quenouille, ouy mesmes à la quenouille seule. Toutesfois ce qui les peut consoler contre ce mespris, c’est qu’il ne se faict que par ceux d’entre les hommes, ausquels elles voudroient moins ressembler : personnes à donner vray-semblance aux reproches qu’on pourroit vômir sur le sexe feminin, s’ils en estoient, et qui sentent en leur cœur ne se pouvoir recommander que par le credit du masculin. D’autant qu’ils ont ouy trompetter par les rues, que les femmes manquent de dignité, manquent aussi de suffisance, voire du temperament et des organes pour arriver à ceste-cy ; leur éloquence triomphe à prescher ces maximes : et tant plus opulemment, de ce que dignité, suffisance, organes et temperament sont de beaux mots : n’ayans pas appris d’autre part, que la premiere qualité d’un mal habille homme, c’est de cautionner les choses soubs la foy populaire et par ouyr dire. Parmy les roulades de ces hauts devis, oyez tels cerveaux, comparer ces deux sexes : la supréme excellence à leur advis, où les femmes puissent arriver, c’est de ressembler le commun des hommes : autant esloi-[296]gnez d’imaginer, qu’une grande femme se peust dire grand homme, le sexe simplement changé, que de consentir qu’un homme se peust eslever à l’estage d’un Dieu. Gens plus braves qu’Hercules vrayement, qui ne deffit que douze Monstres en douze combats : tandis que d’une seule parole ils defont la moitié du Monde. Qui croira cependant, que ceux qui se veulent relever et fortifier de la foiblesse d’autruy, doibvent pretendre, de pouvoir se relever ou se fortifier de leur propre force ? Et le bon est, qu’ils pensent estre quittes de leur effronterie à vilipender le sexe feminin, usans d’une effronterie pareille à se louer ou plustost à se dorer eux-mesmes : je dis par fois en particulier comme en general, et encores à quelque tort et fauce mesure que ce soit : comme si la verité de leur vanterie recevoit poids et qualité de son impudence. Et Dieu sçait si je cognois de ces joyeux vanteurs, et dont les vanteries sont tantost passées en proverbe, entre les plus eschauffez au mespris des femmes. Mais quoy, s’ils prennent droict d’estre galands et suffisans hommes, de ce qu’ils se declarent tels comme par Edict, pourquoy ne rendront-ils les femmes bestes, par le contrepied d’un autre Edict ? il est raisonnable, que leur boule aille roulant jusques au profond de sa route. Mon Dieu que ne prend-il quelquefois envie à ces suffisances, de fournir un peu d’exemple juste et precis et de pertinente loy de perfection à ce pauvre sexe ? Et si je juge bien, soit de la dignité, soit de la capacité des Dames, je ne pretends pas à cette heure de le prouver par raisons, puisque les opiniastres les pourroient debattre, ny par exemples, pource qu’ils sont trop communs, ouy bien seulement par l’authorité de Dieu mesme, des Peres arcs-boutans de son Eglise, et de ces grands Philosophes qui ont servy de Lumiere à l’Univers. Rangeons ces glorieux tesmoins en teste : et reservons Dieu, puis les Saincts Peres de son Eglise, au fond, comme le tresor.
Platon, à qui nul n’a debattu le tiltre de Divin, et consequemment Socrates son interprete et protocole en ses Es-[297]crits, s’il n’est là mesme celuy de Socrates, son plus divin Precepteur, puis qu’ils n’ont jamais eu qu’un sens et qu’une bouche ; leur assignent mesmes droits, facultez et fonctions en leurs Republiques, et par tout ailleurs. Les maintennent de plus, avoir surpassé maintefois tous les hommes de leur Patrie : comme en effect elles ont inventé partie des plus beaux Arts, mesmement les caracteres Latins : ont excellé, ont enseigné cathedralement et souverainement par dessus les hommes, en toutes sortes de Disciplines et de Vertus, dans les plus fameuses Villes antiques, entr’autres Alexandrie, premiere Cité de l’Empire après Rome : Hypathia tint ce haut bout en un siege si celebre. Mais que fit moins en Samothrace Themistoclea sœur de Pythagoras, sans parler de la Sage Theano sa femme ; puis qu’on nous apprend que celle-là dictoit comme luy la Philosophie, ayant pour Disciple ce frere mesme, qui pouvoit à peine en toute la Grece trouver des Disciples dignes de luy ? Qu’estoit-ce aussi que Damo sa fille, ez mains de laquelle en mourant il desposa ses Commentaires, et le soin de provigner sa Doctrine, avec ces mysteres et cette gravité dont il avoit usé toute sa vie ? Nous lisons en Ciceron mesme le Prince des Orateurs, quel lustre et quelle vogue avoient à Rome et prez de luy, l’eloquence de Cornelia mere des Gracches : et de plus, celle de Lælia fille de Caïus, qui est à mon advis Sylla. Ny la fille de Lælia, non plus que celle d’Hortensius, ne manquent pas en Quinctilien d’un Eloge celebre au sujet de cette exquise Vertu. Quoy donc ? si Tycobrahe le fameux Astrologue et Baron Danois, eust vescu de nos jours ; n’eust-il point solemnisé ce nouvel Astre, qui s’est n’agueres descouvert en son voisinage, appelons ainsi, Mademoiselle de Schurman : l’emulatrice de ces illustres Dames en l’eloquence, et de leurs Poetes Lyriques encores, mesmement sur leur propre Langue Latine, et qui possede avec celle-là, toutes les autres antiques et nouvelles et tous les Arts liberaux et nobles ? Mais Athenes auguste Reyne de la Grece et des Sciences, seroit-elle [298] seule entre les Chefs des Villes, qui n’eust point veu les Dames triompher au supréme rang des Precepteurs du Genre-humain, tant par des Escrits illustres et plantureux, que de vive voix ? Areté fille d’Aristipus acquit en cette glorieuse Cité cent dix Philosophes pour Disciples, tenant publiquement la Chaise que son pere avoit quittée par la mort : et comme elle eust outre cela, tracé plusieurs excellens Escrits, les Grecs l’honorerent de cét éloge ; Qu’elle avoit eu la plume de son Pere, l’ame de Socrate, la langue d’Homere. Je ne specifie icy que celles qui ont leu publiquement aux lieux plus celebres, et avec un lustre esclattant : car ce seroit chose ennuyeuse par son infinité, de nombrer les autres grands et doctes esprits des femmes. Eh pourquoy la seule Royne de Saba fut-elle adorer la Sagesse de Salomon, mais encore à travers tant de Mers et de Terres qui les separoient, sinon parce qu’elle la cognoissoit mieux que tout son Siecle ? ou pourquoy la cognoissoit-elle mieux, que par une correspondance de Sagesse, égalle ou plus proche que toutes celles des autres testes de ce temps-là ? C’est en continuant aussi l’estime et la defference que les femmes ont meritées, que ce double miracle de Nature Precepteur et Disciple nommez à l’entrée de cette Section ; ont creu donner plus de poids à des discours de grande importance, s’ils les prononçoient en leurs Livres par la bouche de Diotime et d’Aspasie : Diotime, que ce premier ne craint point d’appeler sa maistresse et Preceptrice, en quelques-unes des plus hautes Sciences : luy Precepteur et maistre de toutes les Nations que le Soleil esclaire. Ce que Theodoret releve si volontiers en l’Oraison de la Foy, ce me semble, qu’il paroist bien que l’opinion favorable au sexe luy estoit fort plausible. Voyez en suyte, la longue et magnifique comparaison que ce fameux Philosophe Maximus Tyrius, faict de la methode d’aymer du mesme Socrates, à celle de cette grande Saphon. Combien aussi ce Roy des Sages se chatouille-t’il d’espoir, d’entretenir en l’autre Monde la suffisance des grands hommes et des grandes femmes que les [299] Siecles ont portez : et quelles delices se promet-il de cét exercice, en la divine Apologie par laquelle son grand Disciple nous rapporte ses derniers discours ? Après tous ces temoignages de Socrates, sur le faict des Dames, on void assez que s’il lache quelque mot au Sympose de Xenophon contre leur prudence, à comparaison de celle des hommes ; il les regarde selon l’ignorance et l’inexperience où elles sont nourries, ou bien au pis aller en general, avec dessein de laisser lieu frequent et spacieux aux exceptions : à quoy les deviseurs sur qui nous sommes ne s’entendent point. Pour le regard de Platon on nous recite encores, qu’il ne vouloit pas commencer à lire, que Lastemia (j’ay leu ce nom de la sorte) et Axiothea ne fussent arrivées en son auditoire, disant ; Que cette premiere estoit l’entendement, cette autre la memoire, qui sçauroient comprendre et retenir ce qu’il avoit à dire.
Si donc les Dames arrivent moins souvent que les hommes, aux degrez de l’excellence ; c’est merveille que ce deffaut de bonne education, et mesmes l’affluence de la mauvaise expresse et professoire, ne face pis, et qu’elle ne les garde d’y pouvoir arriver du tout. S’il le faut prouver : se trouve-t’il plus de difference des hommes à elles, que d’elles à elles-mesmes : selon l’institution qu’elles ont receue, selon qu’elles sont eslevées en Ville ou village, ou selon les Nations ? Et consequemment, pourquoy leur institution aux affaires et aux Lettres à l’égal des hommes, ne rempliroit-elle la distance vuide, qui paroist d’ordinaire entre les testes d’eux et d’elles ? veu mesmement, que l’instruction est de telle importance, qu’un de ses membres seul, c’est à dire le commerce du monde, abondant aux Françoises et aux Angloises, et manquant aux Italiennes ; celles-cy sont de gros en gros de si loin surpassées par celles-là ? Je dis de gros en gros, car en détail les Dames d’Italie triomphent par fois : et nous en avons tiré des Reynes et des Princesses qui ne manquoient pas d’esprit. Pourquoy vrayement la bonne façon de les nourrir, ne pourroit-elle arriver à rem-[300]plir l’intervalle qui se trouve entre les entendemens des hommes et les leurs ; veu qu’en l’exemple que je viens d’alleguer, les pires naissances surmontent les meilleures, par l’assistance seule et simple, de ce commerce et de cette conversation du monde ? car l’air des Italiennes est plus subtil et propre à subtiliser les esprits, que celuy d’Angleterre ny de France : comme il paroist en la capacité des hommes de ce Climat Italien, confrontée communément contre celle-là des François et des Anglois : mais j’ay touché cette consideration ailleurs. Plutarque en l’Opuscule des vertueux Faicts des femmes maintient ; Que la Vertu de l’homme et celle de la femme, sont mesme chose. Seneque d’autre part publie aux Consolations ; Qu’il faut croire que la Nature n’a point traicté les Dames ingratement, ou restrainct et racourcy leurs vertus et leurs esprits, plus que les vertus et les esprits des hommes : ains au contraire, qu’elle les a douées de pareille vigueur et de faculté pareille à toute chose honneste et louable. Voyons ce qu’en juge après ces deux, le tiers Chef du Triomvirat de la Sagesse humaine et Morale, en ses Essais. Il luy semble, dit-il, et si ne sçait pourquoy, qu’il se trouve rarement des femmes dignes de commander aux hommes. N’est-ce pas les mettre en particulier à l’égale contrebalance des hommes, et confesser, que s’il ne les y met en general, il craint d’avoir tort ? bien qu’il peust excuser sa restriction, sur la pauvre et disgraciée maniere de laquelle on nourrit ce sexe. Sans oublier au reste, d’alleguer favorablement en autre lieu de son mesme Livre, ceste authorité que Platon leur depart en sa Republique, et qu’Anthistenes nioit toute difference au talent et en la vertu des deux sexes. Quant au Philosophe Aristote, remuant Ciel et Terre, il n’a point contredict l’opinion qui favorise les Dames, s’il ne l’a contredicte en general à cause de la mauvaise institution, et sans nier les exceptions : partant il l’a confirmée : s’en rapportant vray-semblablement aux sentences de son pere, et grand-pere spirituels, Socrates et Platon, comme à chose constante et [301] fixe soubs le credit de tels Sages : par la bouche desquels il faut advouer que le Genre-humain tout entier, et la Raison mesme, ont prononcé leur arrest. Est-il besoin d’alleguer infinis autres esprits anciens et modernes de nom illustre ? ou parmy ces derniers, Erasme, Politian, Boccace, le Tasse aux Œuvres qu’il escrit en Prose, Agrippa, l’Honneste et pertinent Precepteur des Courtisans, et tant de fameux Poëtes ; si contrepoinctez tous ensemble aux mespriseurs du sexe feminin, et si partisans de ses advantages, aptitude et disposition à tout office et à tout exercice louable et de haute entreprise ? Les Dames en verité se consolent, de ce que ces décrieurs de leur merite ne peuvent prouver qu’ils soient habiles gens, si tous ces Autheurs vieux et nouveaux le sont : et qu’un habille homme ne dira pas, encores qu’il le creut ; que le merite et le privilege du sexe feminin tire court, auprès de ceux du masculin, jusques à ce qu’il ait fait passer tous ces Escrivains pour des resveurs, afin d’infirmer leur tesmoignage si contraire à une telle sentence, au cas qu’il entreprist de la prononcer. Et resveurs faudroit-il proclamer encores des Peuples entiers et des plus subtils, entre autres ceux de Smyrne en Tacite qui pour obtenir autrefois à Rome presseance de Noblesse sur leurs voisins, alleguoient estre descendus, ou de Tantalus fils de Jupiter, ou de Theseus petit-fils de Neptune, ou d’une Amazone : laquelle par consequent, ils comparoient à ces Dieux en dignité. Les Lesbiens ne chercherent pas moins de gloire en la naissance de Saphon, puis qu’il se trouve aujourd’huy par tout, mesmement en Hollande ; que leur monnoye portoit pour seule marque la figure d’une jeune Dame la lyre en la main, avec ce mot, « Lesbos ». N’estoit-ce pas recognoistre que le plus grand honneur qu’eux et leur Isle eussent jamais eu, c’estoit d’avoir bercé l’enfance de cette Heroïne ? Et puis que nous sommes tombez davanture sur les Poetisses, nous apprenons, que Corinne gaigna publiquement le prix sur Pindare en leur Art : et qu’à dix-neuf ans qui bornerent la vie d’Erin-[302]ne, elle avoit faict un Poëme de trois cens vers, eslevé à tel degré d’excellence qu’il entroit en paralele avec la majesté de ceux d’Homere : et jettoit Alexandre dans un doute, s’il devoit plus estimer le bon-heur d’Achille, d’avoir rencontré pour Herault ce grand Poëte, ou celuy de ce mesme Poëte, d’avoir eu pour Rivale une telle Heroïne. Les Dames ont-elles sceu choisir en ces deux Poëtes, à qui debattre glorieusement la victoire, ou du moins l’égalité ? Pour le regard de la Loy Salique, qui prive les femmes de la Couronne, elle n’a lieu qu’en France. Et fut inventée au temps de Pharamond, par la seule consideration des guerres contre l’Empire, duquel nos peres secouoient le joug : le sexe feminin estant vray-semblablement d’un corps moins propre aux armes, par la necessité du port et de la nourriture des enfans. Il faut remarquer encore pourtant, que les Pairs de France ayant esté créez en premiere intention comme une espece de Personniers des Roys, ainsi que leur nom le declare : les Dames Pairresses de leur chef ont seance, privilege et voix deliberative par tout où les Pairs en ont, et de mesme estendue. On peut voir Hotman pour l’étymologie des Pairs : et du Tillet et Matthieu en l’Histoire du Roy, pour les Dames Pairresses. Comme aussi est-ce chose digne de consideration, que les Lacedemoniens, ce brave et genereux Peuple, consultoit de toutes affaires privées et publiques avec ses femmes, au rapport de Plutarque : et Pausanias, Suidas, Fulgose et Laërtius, respondront de la pluspart des autres authoritez ou témoignages que j’ay recueillis cy-devant : à quoy j’adjousteray, que le Theatre de la vie humaine, avec l’Horloge des Princes, que je puis alleiguer en tel cas ; recitent plusieurs nouvelles de cette cathegorie, dont ils nomment leurs Autheurs. Bien a servy cependant aux François, de trouver l’invention des Regentes, pour un équivalent des Roys pendant les minorités : car sans cela combien y a-t’il que leur Estat fust par terre ? Les Germains ces belliqueux Peuples, ce dit Tacite, qui après plus de deux cens ans de [303] guerre, furent plustost trompetez en Triomphe, que vaincus, portoient dot à leurs femmes, non au contraire : et si avoient au surplus des Nations entr’eux, qui n’estoient jamais regies que par ce sexe. Et quand Ænée presente à Didon la Couronne et le Sceptre d’Ilione, les Scholiastes disent, que cela provient, de ce que les Dames filles aisnées, comme estoit ceste Princesse, regnoient anciennement aux maisons Royales. Veut-on deux plus beaux envers à la Loy Salique, si deux envers elle peut souffrir ? Si est-ce que nos anciens Gaulois, ny les Carthaginois avec eux, ne mesprisoient pas les femmes : lors qu’estans unis en l’armée d’Hannibal pour passer les Alpes, ils establirent les Dames Gauloises arbitres de leurs differens. Que si les hommes desrobent à ce sexe en plusieurs lieux, sa part des meilleurs advantages, ils ont tort de faire un tiltre de leur usurpation et de leur tyrannie : car l’inégalité des forces corporelles plus que spirituelles, ou des autres branches du merite, est facilement cause de ce larcin et de sa souffrance : forces corporelles, qui sont au reste, des vertus si basses, que la beste en tient plus par dessus l’homme, que l’homme par dessus la femme. Et si ce mesme Historiographe Tacite, nous apprend ; Qu’où la force regne, l’équité, l’integrité, la modestie mesme, sont les attributs du vainqueur : s’estonnera-t’on, que la Prudence, la Sagesse, et toute sorte de bonnes qualitez en general, soient les attributs de nos hommes, privativement aux femmes, outre la privation de tous les advantages mondains.
Au surplus, l’Animal-humain n’est homme ny femme, à le bien prendre : les sexes estant faicts non simplement, ny pour constituer une differance d’especes, mais pour la seule propagation. L’unique forme et difference de cét Animal, ne consistent qu’en l’ame raisonnable : Et s’il est permis de rire en passant chemin, le quolibet ne sera pas hors de saison, lequel nous apprend ; qu’il n’est rien plus semblable au chat sur une fenestre, que la chatte. L’homme et la femme sont tellement uns, que si l’homme est plus que la femme, la femme est plus que l’homme. L’homme fut creé [304] masle et femesle, ce dit l’Escriture : ne comtant ces deux que pour un : et Jesus-Christ est appelé Fils de l’homme, bien qu’il ne le soit que de la femme : perfection entiere et consumée de la preuve de cette unité des deux sexes. Ainsi parle après le grand Sainct Basile en sa premiere Homelie de l’Hexameron : La Vertu de l’homme et de la femme sont mesme chose, puis que Dieu leur a decerné mesme creation et mesme honneur : « masculum et fœminam fecit eos ». Or en ceux de qui la nature est une et mesme, il faut conclure, que les actions aussi le soient, et que l’estime et le loyer en suitte soient pareils, où les œuvres sont pareilles. Voilà donc la declaration de ce puissant athlete et venerable tesmoin de l’Eglise. Il n’est pas mauvais de se souvenir sur ce poinct-là que certains Ergotistes anciens, ont passé jusques à cette niaise arrogance ; de debattre au Sexe feminin l’Image de Dieu, à difference de l’homme : duquel ils devoient, selon ce calcul, attacher à la barbe le caractere d’une telle image. Il falloit d’ailleurs, et par consequent, desnier aux femmes l’image de l’homme : ne pouvans luy ressembler, sans qu’elles ressemblassent à celuy dont il porte la ressemblance. Dieu mesme leur a departy les dons de Prophetie indifferemment avec les hommes : et les a constituées aussi pour Juges, instructrices et conductrices de son Peuple fidelle en paix et en guerre, ès personnes d’Olda et de Debora : davantage, il les a rendues triomphantes avec ce Peuple, des hautes victoires : en temoins dequoy, leurs Cantiques ont l’honneur de tenir rang dans la Saincte Bible, et pareillement ceux de Marie Sœur de Moyse et d’Anne fille de Phanuel. De plus, elles les ont plusieurs fois emportées et arborées en divers Climats du Monde : mais sur quelles gens encores ? Cyrus et Theseus : à ces deux on adjouste Hercules, qu’elles ont sinon vaincu, du moins bien battu. Aussi fut la cheute de Pentasilée, un couronnement de la gloire d’Achilles : oyez Seneque et Ronsard parlans de luy.
L’amazone il vainquit, dernier effroy des Grecs.
Pentasilée il rua sur la poudre.
[305] Ny Virgile n’a sceu consentir à la mort de Camille, au milieu d’une furieuse Armée, qui sembloit ne redouter qu’elle ; sinon par l’embusche et la surprise d’un traict tiré de loing. Epicharis, Læena, Porcia, la mere des Machabées, nous pourront-elles servir de preuve, combien les Dames sont capables de cét autre Triomphe de la force magnanime, qui consiste en la constance et en la souffrance des plus aspres travaux ? Ont-elles au surplus, moins excellé de Foy, qui comprend toutes les Vertus principales, que de force considérée en toutes ses especes ? Paterculus nous apprend ; Qu’aux proscriptions Romaines, la fidelité des enfans fut nulle, des affranchis legere, des femmes tres-grande. Que si Sainct Paul, suivant ma route des tesmoignages Saincts, leur deffend le ministere, et leur commande le silence en l’Eglise, il est évident, que ce n’est point par aucun mespris : ouy bien seulement, de crainte qu’elle n’esmeuvent les tentations, par cette montre si claire et si publique, qu’il faudroit faire en ministrant et en preschant, de ce qu’elles ont de grace et de beauté plus que les hommes. Je dis qu’on void evidemment que le mespris en est hors : puisque cét Apostre parle de Thesbé comme de sa Coadjutrice en l’Œuvre de nostre Seigneur : outre que Saincte Tecle et Appia, tenoient rang au nombre de ses chers enfans et Disciples. Sans toucher le grand credit de Saincte Petronille vers Sainct Pierre et sans adjouster que la Magdeleine est nommée en l’Eglise, Egale aux Apostres, « Par apostolis » : entre autres au Calendrier des Grecs, publié par Genebrard. Voire, que l’Eglise et eux-mesmes Apostres, ont permis une exception de cette reigle de silence pour elle, qui prescha trente ans en la Baume de Marseille, au rapport de toute la Provence. Et si quelqu’un reproche ce témoignage des predications de la Magdeleine, on luy demandera, que faisoient les Sybiles, sinon prescher l’Univers par inspiration divine, sur l’advenement futur de Jesus-Christ ? et faudra qu’il nous die après s’il peut nier celles de Saincte Catherine de Sienne, que le bon et Sainct [306] Evesque de Geneve me vient d’apprendre. Au reste, toutes les Nations concedoient la Prestrise aux femmes, indifferemment avec les hommes : et les Chrestiens sont au moins forcez de consentir, qu’elles soient capables d’appliquer le Sacrement de Baptesme : mais quelle faculté de distribuer les autres, leur peut estre justement déniée, si celle de distribuer cestuy-là, leur est justement accordée ? De dire que la necessité des petits enfans mourans, ait forcé les Peres anciens d’establir cét usage en despit d’eux ; il est certain qu’ils n’auroient jamais creu, que la necessité les peust dispenser de prevariquer jusques aux termes d’octroyer une permission de violer et de profaner l’application d’un Sacrement. Et partant, concedans cette faculté de distribution aux femmes, on void à clair, qu’ils les en ont estimées dignes, et qu’ils ne les ont interdites de communiquer les autres Sacremens, que pour maintenir tousjours plus entiere l’authorité des hommes : soit pour estre eux-mesmes du sexe masculin, soit afin qu’à droict ou à tort, la paix fust plus asseurée entre les deux sexes, par la foiblesse, et le ravalement de l’un. Certes Sainct Hierosme escrit sagement en ses Epistres ; Qu’en matiere du service de Dieu, l’esprit et la doctrine doivent estre considerez, non le sexe. Sentence qu’on doit generaliser, pour permettre aux Dames à plus forte raison, toute autre Science et toute action des plus exquises et solides, disons en un mot, de la plus haute Classe : et cela suivant aussi les intentions du mesme Sainct, qui par tous ses Ecrits honore et authorise bien fort ce sexe : de sorte qu’il dedie à la Vierge Eustochium ses Commentaires sur Ezechiel, quoy qu’il fust deffendu aux Sacrificateurs mesmes, d’estudier ce Prophete avant trente ans. Quiconque lira ce que Sainct Gregoire encores escrit au sujet de sa sœur, ne le trouvera pas moins favorable vers elles que Sainct Hierosme. Je lisois l’autre jour un deviseur, declamant contre l’authorité que les Protestants concedent vulgairement à l’insuffisance pretendue des femmes, de feuilleter l’Escriture : en quoy [307] je trouvay qu’il avoit la meilleure raison du monde, s’il eust fait pareille exception sur l’insuffisance des hommes, en cas de telle permission vulgaire : insuffisance toutesfois qu’il ne peut voir, parce qu’ils ont l’honneur de porter barbe comme luy. Davantage Sainct Jean, l’Aigle et le plus chery des Evangelistes, ne mesprisoit pas les femmes, non plus que Sainct Pierre, et S. Paul, et ces trois Peres, j’entends Sainct Basile, Sainct Hierosme, et Sainct Gregoire, puis qu’il leur adresse ses Epistres particulierement : sans parler d’infinis autres Saincts, ou Peres, qui font pareille adresse de leurs Escrits. Quand au faict de Judith, je n’en daignerois faire mention ; s’il estoit particulier, cela s’appelle, dependant du mouvement et de la volonté de son auctrice ; non plus que je parle des autres de ce qualibre, bien qu’ils soient immenses en quantité, comme ils sont autant heroïques en qualité de toutes sortes, que ceux qui couronnent les plus illustres hommes. Je n’enregistre point les faicts privez, de crainte qu’ils ne semblent estre quelques bouillons d’une vigueur personnelle, plustost que des advantages et des dons du sexe feminin. Mais celui de Judith merite place en ce lieu : puis qu’il est bien vray, que son dessein tombant au cœur d’une jeune Dame, entre tant d’hommes faillis de cœur, à tel besoin, en si difficile entreprise, et pour un tel fruict que le Salut d’un Peuple et d’une Cité fidelle à Dieu ; semble plustost estre une faveur d’inspiration et un don de prerogative Divine et speciale envers les femmes, qu’un traict purement humain et volontaire. Comme aussi le semble estre celuy de la Pucelle d’Orleans, accompagné de mesmes circonstances environ, mais de plus ample utilité : d’autant qu’ils s’estendit jusques au Salut d’un grand royaume et de son Prince.
Ceste illustre Amazone instruicte aux soins de Mars,
Fauche les escadrons, et brave les hazars :
Vestant le dur plastron sur sa ronde mammelle,
Dont le bouton pourpré de graces estincelle : [308]
Pour couronner son chef de gloire et de lauriers,
Vierge elle ose affronter les plus fameux gueriers.
Adjoustons que la Magdelene est la seule ame, à qui le Redempteur ayt jamais prononcé cette parolle : et promis ceste auguste grace : « En tous lieux où se preschera l’Evangile, il sera parlé de toy. » D’alieurs, Jesus-Christ declara sa tres-heureuse et tres-glorieuse Resurrection aux Dames les premieres : afin de les rendre, selon le celebre Mot de S. Hierosme au Prologue sur le Prophete Sophronias, Apostresses aux propres Apostres : et comme l’on sçait, avec Mission expresse : « Va, dit-il, à cette-cy mesme, et recite aux Apostres et à Pierre ce que tu as veu. » Surquoy il faut observer qu’il manifesta sa nouvelle Naissance en mesme instant et de mesme sorte aux femmes qu’aux hommes, en la personne d’Anne fille de Phanuel prenommée : qui le recogneut par l’esprit Prophetique, avecque le bon vieillard Sainct Simeon alors qu’il fut circoncis : et devant eux saincte Elisabet, dès qu’il estoit encore enveloppé dans les cachettes du ventre Virginal. Laquelle Naissance, d’abondant, les Sybilles que je viens d’alleguer, ont predite, seules entre les Gentils : excellent privilege du sexe-feminin. Quel honneur faict aux femmes aussi, ce songe survenu chez Pilate, s’adressant à l’une d’elles privativement à tous les hommes, et en telle et si haute occasion ? Et si les hommes se vantent, que Jesus-Christ soit né de leur sexe, on respond, qu’il le falloit par necessaire bien-seance : ne se pouvant pas sans scandale, mesler jeune et à toutes les heures du jour et de la nuict, parmy les presses, afin de convertir, secourir et sauver le Genre-humain, s’il eust esté du sexe des femmes : mesmement en face de la malignité des Juifs : Que si quelqu’un au reste est si fade, d’imaginer masculin ou feminin en Dieu, bien que son nom semble sonner le masculin, ny consequemment besoin du choix d’un sexe plustost que de l’autre, pour honnorer ou relever l’Incarnation de son Fils ; cestuy-cy montre à plein jour, qu’il est aussi mauvais Philosophe que Theologien. D’autrepart, [309] l’advantage qu’ont les hommes par son Incarnation en leur sexe, s’ils en peuvent tirer un advantage, veu ceste necessité remarquée ; est compensée par sa Conception tres-precieuse au corps d’une femme, par l’entiere perfection de ceste femme, unique à porter nom de parfaicte entre toutes les Creatures purement humaines, depuis la cheute de nos premiers parens, et par son Assomption unique encores en un suject humain. Qui plus est, il se peut dire à l’aventure, de son humanité, qu’elle emporte cette prerogative par dessus celle-là de Jesus-Christ ; que le sexe qui n’est point necessaire en luy, pour la Passion et pour la Ressurrection et la Redemption des humains, ses offices propres, l’est en elle pour la Maternité, son office aussi.
Finalement, si l’Escriture a declaré le mary, chef de la femme, la plus grande sottise que l’homme peut faire, c’est de prendre cela pour un passe-droict de dignité. Car veu les exemples, authoritez et raisons nottées en ce discours, par où l’égalité des graces et des faveurs de Dieu vers les deux sexes, est prouvée, disons leur unité mesme : et veu que Dieu prononce : « Les deux ne seront qu’un » : et prononce en suite : « L’homme quittera pere et mere pour se donner à sa femme » ; il paroist que ceste declaration de l’Evangile, n’est faicte que par le besoin exprez de nourrir la paix en mariage. Ce besoin requeroit, sans doute, qu’une des parties conjoinctes cedast à l’autre : car la commune foiblesse des esprits ne pouvoit souffrir, que la concorde naquist du simple discours de raison, ainsi qu’elle eust deu faire en un juste contrepoids d’authorité mutuelle, ny la prestance des forces du masle permettre aussi, que la submission vint de sa part. Et quand bien il seroit veritable, selon que quelques-uns maintiennent, que ceste submission fust imposée à la femme pour chastiment du peché de la Pomme mangée : cela encores est bien esloigné de conclure à la pretendue preference de dignité en l’homme. Si l’on croyoit que l’Escriture luy commandast de ceder à l’homme, comme indigne de le contre-carrer, voyez l’absurdité qui sui-[310]vroit : la femme se trouveroit digne d’estre faite à l’image du Createur, de jouyr de la tres-saincte Eucharistie, des mysteres de la Redemption, du Paradis, et de la Vision voire possession de Dieu, non pas des advantages et des privileges de l’homme : seroit-ce point declarer l’homme plus precieux et plus haut que toutes ces choses, et partant commettre le plus grief des blasphemes ?