Title : “Traité sur les Eloges des Illustres Sçavantes, Anciennes & Modernes.” Nouvelles observations sur la langue française; où il est traitté des termes anciens et inusitez et du bel usage des mots nouveaux avec les Éloges des Illustres Sçavantes Anciennes et Modernes
Author: Buffet, Marguerite (unknown-1680)
Date of publication: 1668
Edition transcribed: (Paris: Jean Cusson, 1668)
Source of edition: Bibliothèque Nationale de France
<http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50480k>
Transcribed by: Charlotte Sabourin & Yanicka Poirier, McGill University, 2015.
Transcription conventions: Original page numbers have been supplied in the body of the text in brackets.
Status: Completed and corrected, version 1.1, July 2017.
Produced as part of Equality and superiority in Renaissance and Early Modern pro-woman treatises, a project funded by the Social Sciences and Humanities Research Council of Canada.
NB there is a copy in the British Library, ADD MS[it’s a printed book not a manuscript, so the code may not have that] 3857
It contains as prefatory material:
A LA REYNE
AU LECTEUR
A MADEMOISELLE BUFFET, SUR SON OUVRAGE, signed by “Vostre tres humble & tres obeyssant serviteur, BRUSLE Avocat en Parlement.” This may be helpful for the biography.
TEXT BEGINS FOLLOWING THIS LINE
[199]
TRAITTÉ SUR LES
Eloges des Illustres Sçavantes,
Anciennes & Modernes.
LA perfection des Creatures consiste dans les rapports & convenances qu’elles ont avec Dieu qui est la source & le principe de toutes les excellences & de toutes les beautez. Comme nous estimons un portrait plus il a de lineamens des traits & de l’air de son original ; il est certain que la femme a autant de rapport avec Dieu que l’homme, soit que nous considerions l’un & l’autre sexe dans la nature & dans la grace : la femme aussi bien que l’homme a cet avan-[200]tage d’avoir esté creée à l’image de la Divinité : quant à l’ame, qui dans son unité & dans ces trois nobles facultez, l’entendement, volonté & memoire. Les ames n’ayant point de sexe, il s’ensuit par consequent que la beauté de l’esprit ne connoist point cette difference d’homme & de femme, & qu’elle est sans difficulté l’apannage de l’un & de l’autre sexe. Quant au corps l’on peut avancer que la femme a quelque chose qui la releve au dessus de l’homme ; puis que le corps de l’homme a esté formé du limon de la terre, qui est une matiere qui n’a rien de comparable avec celle dont le corps de la femme a esté for-[201]mé ; puis que nous sçavons que tout ce qu’il y a de plus fort dans le corps de l’homme a esté employé pour former celuy de la femme. Mais à qui pouvons-nous croire avec plus de soûmission qu’au Dieu de la verité, qui nous asseure que la perfection de l’Univers dépendoit de la creation de la femme, qui a esté le dernier de ses ouvrages, comme en estant le couronnement : En sorte que sans cette excellente creature, le monde n’auroit pas eu toute l’étenduë de sa beauté & de son agrément. Le premier homme favorise cette verité ; puis que nous voyons qu’il n’a point d’admiration pour la lumiere du Soleil & [202] des Astres, & pour tout ce qu’il y a de brillant & de considerable dans l’Univers ; mais dés le moment qu’une femme paroist devant ses yeux il s’en fait l’admirateur, comme l’objet de ses plus cheres delices. Y a-t-il rien de plus fort & de plus convainquant, quand nous raisonnons sur cette verité, que la Sagesse Eternelle a fait entrer une Vierge dans l’économie du salut de tous les hommes, & que les deux plus puissants Royaumes de la Chrestienté, la France & l’Espagne sont redevables à la pieté de ce sexe, de leur Foy & de leur Baptême en la personne de deux grandes Reines, Clothilde & Indegonde, qui en [203] jetterent les fondemens, & en procurerent l’établissement. Combien de Reines & de Princesses ont encore chassé hautement l’erreur & le Paganisme en plusieurs Royaumes de l’Europe. L’Empire Romain ne reconnoist-il pas avoir receu la vraye Religion par la doctrine & la pieté d’une Helene Princesse Angloise. Les Hongrois avoüent aussi qu’ils ont receu ce bon-heur par le moyen de Giselle, quand elle épousa leur Roy Estienne, qui depuis fut canonisé. Les Moscovites n’ont-ils pas receu la mesme grace par le moyen de la Princesse Olga. Combien les Polonois sont-ils redevables à Damburca, [204] fille de Boleslas Duc de Boheme, laquelle refusa d’avoir Miesca Duc des Sarmates pour mary s’il ne faisoit profession de la Religion Chrestienne. Cette habile & vertueuse Princesse envoya au Pape Jean XIII. pour luy donner du secours pour l’instruction de ces Peuples. Pour cet effet ce saint homme envoya Gille Evesque de Tuscule, tres-sçavant homme, & d’une haute reputation, qui vint en Pologne comme Legat, pour instruire ces Peuples des plus importants points de nostre Religion. Les Sçavants n’ont pas ignoré qu’Hedvvige Reine de Pologne, Fille puisnée de Louïs dit le Grand, Roy de Hon-[205]grie & de Pologne. Cette charitable & illustre Princesse, que l’histoire appelle la mere des Sçavants, ayant fondé un College en l’Université de Cracovie, elle fit plusieurs belles actions dans tout ce Pays pour la défence & le maintien de la Foy Catholique qui témoignerent ce grand zele qu’elle avoit pour la conversion de ces Peuples, qu’elle gagna par sa doctrine & par une conduite merveilleuse dont elle se servoit ordinairement. On feroit plusieurs volumes si on vouloit rapporter combien de femmes ont receu d’Eloges des plus grands Historiens, non pas seulement pour avoir fait de tres-belles actions [206] pour l’avancement du Christianisme, & pour la conversion des Peuples & des Nations entieres, mais aussi pour avoir bien reussi dans l’étude des bonnes Lettres, & en la conduite des Estats, non seulement durant la Paix, mais encore parmy les troubles & les guerres estrangeres & domestiques : C’est pourquoy il est facile à conclure que les femmes sont aussi capables des plus nobles emplois que les hommes. S’il m’est permis de parler d’un des premiers Philosophes qui est Platon, ce grand homme dont le nom de divin n’a pû estre effacé depuis tant de siecles, a deu bien connoistre le bon & le mauvais, & le fort [207] & le foible de toutes choses, a parlé des femmes d’une maniere si avantageuse & si élevée, qu’il a dit qu’elles pouvoient estre employées aux mesmes exercices que les hommes, & prouve fort bien qu’elles n’en sont pas moins capables dans un livre que Plutarque a fait, & qui est intitulé les vertueux faits des femmes ; ces veritez y sont fort confirmées. Ce grand Origene dont la memoire brillera tousjours parmy les Sçavants, leur enseignoit de son temps. Il a fort bien dit qu’elles estoient aussi susceptibles des belles connoissances & des secrets de l’Ecriture que les hommes. L’histoire ancienne & moderne [208] nous en découvre un tres-grand nombre de sçavantes & de courageuses heroïnes qui ont paru avec admiration dans tous les siecles. Il n’y a point de climats où elles n’ayent donné des preuves de leur erudition. Il s’en est trouvé qui ont gouverné des Estats avec toute la prudence & la politique la mieux reglée. D’autres qui ont maintenu des Peuples dans le devoir que l’on doit aux Souverains : D’autres qui ont donnez des loix qui ont esté tres-souverainement observées, & qui par leur prudence & leur sage conduite ont empéché la ruine des Monarchies. Un tres-grand nombre encore qui se sont [209] renduës si recommandables par leur valeur & la force de leur courage. D’autres qui ont parlé & écrit si sçavamment en prose & en vers, qu’il s’est trouvé de grands hommes qui auroient eu peine de les imiter : Les peuples de l’Asie ont esté les premiers qui ont volontairement reconnu le gouvernement des femmes ; ce qu’a fort bien remarqué l’Empereur Claudian. L’on sçait que les Amazones y ont genereusement commandé, & y ont fait bâtir les plus belles & les plus considerables Villes ; entr’autres celle d’Ephese si celebre pour son Temple, qui a esté une des merveilles du monde. Aux Indes tant Oc-[210]cidentales qu’Orientales les Reines sont admises au Gouvernement ; & parmy les Lacedemoniens les femmes commandoient aux hommes. L’histoire est si remplie de tant d’exemples fameux de ces courageuses Heroïnes. Celle à qui la France est si redevable, n’a-t-elle pas fait voir par sa valeur qu’il n’est rien de difficile pour ce sexe : Les Semiramins, les Zenobies, les Thomiris, les Judiths, les Isabelles, les Camilles n’ont-elles pas triomphé à la teste des Conquerants. Les Illustres ont fleuri dans ce grand Empire des Romains aussi hautement que les Cesars : Les unes y ont esté cheries de leur ma-[211]ris, honorées de la Cour, adorées des Peuples ; les autres par l’éclat de leurs vertus, ont excité l’envie publique, & ressuscité la jalousie qui est la plus grande preuve du merite. Qu’on regarde sur les anciens registres du Capitole, où on verra cette auguste Martia ayeule de Jule Cesar qui a ramené l’Estat populaire sous le joug de la Monarchie, & qui avoit conservé nonobstant cette longue suite de Consuls, cet esprit royal qui estoit derivé d’Ancus Martius l’un des Rois de la Ville de Rome. Julia la tante du mesme Jule Cesar mariée à Caius Marius, qui a esté un exemple de grandeur de courage dans les [212] afflictions de Marius son mary qu’elle supporta avec une generosité heroïque : Aurelia la mere de Iule [sic.] Cesar estoit si digne de la Majesté Imperiale, que les soins qu’elle prit à donner l’education à ce premier des Empereurs luy eussent donné seance sur la poupre si la mort ne l’eust prevenuë, pendant que Cesar faisoit la guerre dans les Gaules. Auguste le plus sage de tous les Empereurs suivoit les conseils de Livia dans les affaires les plus importantes de l’Empire. Ces Illustres qui ont brillé au commencement de l’Empire Romain comme les Astres à la naissance du monde, & toutes les autres dont l’histoire fait une [213] si honorable mention, sont des exemples & des modeles de perfection, qui font bien voir que les femmes sont capables d’estre élevées à d’aussi nobles emplois que les hommes. Dans nostre florissant Royaume le premier de l’Europe capable de satisfaire les desirs & la curiosité de toutes les Nations qui se rencontrent depuis la naissance de cette Monarchie, combien d’augustes, d’habiles & de sçavantes Princesses ont donné des marques de la beauté de leur esprit. Leurs actions mâles & heroïques ont souvent mit la plume à la main à ceux-là même qui ont eu le plus d’indifference pour leur party qui nous en décou-[214]vre un tres-grand nombre d’habiles, sçavantes dans les belles lettres : D’autres qui ont esté adorées des Peuples par l’éclat de leur reputation. Nos Historiens n’ignorent pas que douze de nos Reines & deux Princesses ont gouverné l’Estat en qualité de Regentes ; & ces quatre, Adele de Champagne, Blanche de Castille, Aune de Bretagne, Catherine de Medicis l’ont esté deux fois, & la quatriéme quatre fois, qui fust si aimée de ses Peuples, qu’elle a esté appellée la mere de l’Estat. Dans nostre siecle combien d’habiles & de sçavantes dans ce Royaume & dans toutes les parties du monde qui embe-[215]lissent leur vie par tant d’actions heroïques & recommandables, que les Historiens qui en écriront trouveront de quoy s’étendre sur un si beau sujet. On sçait que dans les siecles passez plusieurs ont écrit l’histoire des illustres sçavantes, qui nous en citent un tres-grand nombre dont je fais voir une petite partie sur la fin de ce traitté, qui ont écrit & parlé si sçavamment, qu’elles faisoient honte à de grands hommes de leur siecle. Ces veritez sont si connuës que les femmes peuvent avoir autant d’habileté que les hommes, en tout ce qui les rend habiles, qu’on ne peut rien oppo-[216]ser au contraire, comme je pretens faire voir par la suite de ce discours ; & pour parler plus gravement, on sçait que tous les Philosophes sont d’accord, que toutes les existences ont leurs contraires, & c’est ce qui leur a fait dire, que des choses qui sont diverses & diamétralement opposées, les sciences & les connoissances sont semblables, & qu’on connoist la blancheur par la noirceur, la lumiere par les tenebres, & que comme les ombres sont connus par les corps oposés à la lumiere, je dis que c’est par les vices, & par les défauts, qu’on impute aux femmes, que leurs vertus & leurs perfections sont mieux con-[217]nuës & plus relevées, & brillent avec plus d’avantage. Leurs ennemis disent que c’est un mal, mais un mal necessaire pour l’entretien & pour la conservation des hommes, desquels elles sont recherchées par un instinct propre aux animaux, & commun à toutes les brutes ; & par consequent contraire à la raison ; puis que les particuliers n’y agissent que par leur destruction, & que leur genre n’est conservé que par les pertes des individus, et par les abolitions de leurs especes. Ils disent que les femmes sont des erreurs de la nature, & que le Prince des Philosophes les nomme des monstres ; & que peu [218] s’en la fallu que le divin Platon ne les ait mises au rang des animaux irraisonnables ; & que le sage Salomon qui les a beaucoup frequentées, dit qu’il n’y en a pas une qui soit prudente : il les a comparées aux abysmes, où les hommes se perdent & se precipitent miserablement. : Il dit que toutes les malices sont à supporter, excepté celles des femmes. Ceux qui les traittent avec moins de rigueur, les comparent aux mules & aux chevres, & font exactement convenir leurs humeurs capricieuses aux fougues de ces extravagants animaux ; à quoy ils ajoûtent une multitude de rebus & de proverbes autant ridicules & [219] extravaguants qu’ils sont indignes des femmes.
Pour répondre par raison & de suitte, à de si fortes invectives, il faut considerer l’origine des femmes, & sçavoir, & en quoy elle differe de celle des hommes ; si elles sont formées & composées par d’autres principes ou élemens. Sur quoy il n’y a pas à consulter ; puis que les adversaires mêmes n’ayant rien à proposer au contraire, demeurent tous d’accord qu’ils sont semblables, & qu’il n’y a que le plus & le moins des uns & des autres qui en fasse la difference ; & c’est ce qu’on remarque, & qu’on connoist aussi bien aux hom-[220]mes qu’aux femmes ; c’est pourquoy, &c.
Il faut donc en chercher la difference par leurs formes, lesquelles estant infuses dans les individus, les font agir ou par leurs propres puissances, & sans aucuns empeschemens de la matiere, ou par la disposition des organes des sujets qu’elles informent. Quant aux organes ils sont generalement semblables, & n’ont aucunes differences sensibles dans l’un ou dans l’autre sexe. C’est pourquoy il n’y a pas sujet de s’arréter à leurs particularitez.
Si les formes des corps qui sont substances intelle-[221]ctuelles sont infuses dans les individus par un principe superieur, duquel elles soient directement emanées, elles sont sans aucun doute égales en puissance, grandeur & mouvemens.
Car de se persuader qu’elles soient distinguées entre elles, par ordre ou par degrez de priorité ou autrement, même qu’elles soient differentes ou comprises sous differents sexes, & qu’elles se multiplient d’elles-mêmes, ou entre elles, comme font la plus-part des corps materiels ; ce seroit établir le cercle des Philosophes à une multiplication à l’infiny des existences superieures & des inferieures, & s’imaginer que [222] les ames & les esprits seroient imaginairement en masculin & en feminin comme nous distinguons les choses sensibles & materielles qui sont sous ces deux genres, ce qui seroit une erreur bien extravagante.
Mais si comme raisonnables & mesme comme Chrestiens, nous avoüons que le principe duquel & par lequel les ames sont infuses dans le corps, est l’estre des estres, c’est à dire le Dieu éternel que nous adorons, & que nos ames soient des soufles de sa Divinité, nous les devons necessairement concevoir égales entre elles, tant en grandeur, force, puissance, bonté, & en tout, & el-[223]les n’auront aucune difference entre-elles en toutes leurs actions, & ainsi nous ne devons considerer que les moyens, les organes, ou les instrumens par lesquels elles agissent, qui sont generalement semblables & égaux, ou peu differens entr’eux, comme il est dit cy-devant ; & il n’y a pas plus de difference d’un sexe à l’autre, qu’il y en a souvent entre les individus en chacun sexe ; c’est pourquoy on peut avec autant de raison que de verité, dire qu’ils sont égaux en tout, & ainsi nous n’en devons considerer que les differences dans les effets, & par les actions generales & particulieres.
[224]Mais parce que les adversaires establissent tout leur fondement, & tirent leurs plus forts raisonnemens des differences qui sont, ou qu’ils disent estre aux formes des organes, & des instrumens, & tous les mouuemens [sic.] differents qui se rencontrent ou qui sont entre les deux sexes ; Ie [sic.] leur répons, comme c’est une necessité qu’il y ait quelque dissemblance, à cause qu’ils sont destinés par la nature à differens effets pour l’entretien & conservation des especes, que cela ne fait rien pour les actions qui dependent de la volonté. Les facultez de l’ame de l’un & de l’autre sexe étant toutes égales ; autrement les ames [225] & les esprits seroient dissemblables, contre ce qui est demontré cy-devant ; & quant à ce que les adversaires disent que les ventricules, les sutures des testes, & cerveaux feminins sont plus petits, & plus serrez que ceux des mâles, & qu’ils se remplissent par consequent plus facilement & sans presque aucune évaporation des humeurs acres, fuligineuses & mordiquantes, qui piquent plus promptement & plus violamment les nerfs & les membranes des femmes, à raison des étressissemens & compressions des sutures capitalles & coronalles, & que c’est ce qui les transporte si souvent aux mouvemens fan-[226]tasques & precipitez, ausquels on les voit presque toûjours ; Je répons que tant s’en faut que cela soit prejudiciable à leur sexe, que c’est ce qui les releve de beaucoup au-dessus de celuy des hommes, desquels les esprits & humeurs estant sans comparaison plus pesantes, sont tres-difficilement muës & agitées ; & qui est celuy qui ignore que les plus parfaites quintes essences soient celles qui s’évaporent le plus promptement & qui ne se perdent & s’évanoüissent presque en un instant dans les airs, si les vases & les vaisseaux qui les contiennent ne sont étroitement fermez ; & que c’est par cette raison, [227] que la sage & tres-prudente nature, a ainsi comprimé & resserré tant les ventricules que les sutures des testes des femmes, & principalement les coronalles ; & ne sçait-on pas aussi que tous les composez sont d’autant plus excellents que toutes leurs parties agissent avec plus de promptitude, & que les machines sont d’autant plus admirables que les parties qui les composent ont entr’elles de plus grandes velocitez, & que leurs ressorts ont plus de promptitude ; & qu’au contraire tous les composez, soit naturels ou artificiels, sont d’autant moins estimables par leurs effets ou actions, que leurs parties agissent plus [228] lentement ; c’est ce qui est bien connu de tous les Geometres, & que les Philosophes remarquent en divers animaux & principalement aux Asnes & aux Buffles, & aux Bœufs, lesquels pour avoir de grosses testes, n’en ont pas plus de cervelle ny plus d’esprit. Que les hommes se vantent donc tant qu’ils voudront, & qu’ils fassent gloire de la grandeur de leurs corps & de la grosseur de leur testes, cela leur est commun avec de tres-stupides animaux, & de tres-grosses & lourdes bestes ; il est donc certain, generalement parlant ; que les femmes ont plus de vivacité d’esprit que les hommes ; ce qui se mani-[229]feste dans toutes les rencontres de la vie où elles sont employées : c’est ce que les plus excellens politiques, les naturalistes, & les legislateurs ont tres-bien connu, ayant parlé des femmes dans leurs loix d’une maniere tres-avantageuse ; & de plus la nature qui est plus équitable, ne fait elle pas voir par le plus parfait & le plus admirable de ses ouvrages, qui est la femme, qu’elle y a travaillé avec beaucoup de soin, puis qu’elle employe plus de temps à faire une fille qu’un garçon, parce qu’il faut plus de temps à faire un ouvrage plus parfait qu’un qui l’est moins, & c’est pour cette raison que les masles vivent à [230] cinq, & sept mois aussi bien qu’à neuf ; mais la nature a besoin de neuf mois tous entiers pour achever son chef-d’œuvre qui est la femme, & c’est aussi par cette admirable creature que Dieu a finy son ouvrage, ou l’œuvre de ses mains comme dit l’Ecriture, en ayant parlé cy-devant.
Il est constant que les femmes ont un plus grand partage des dons du Ciel & de la nature que les hommes : elles ont plus de pieté, elles sont plus fidelles dans leurs promesses, plus constantes & plus fortes en ce qu’elles aiment ; elles surpassent de beaucoup les hommes en beautez, & en toutes perfections ; ce qui est suffisam-[231]ment prouvé, tant par les authoritez des plus habiles, & des plus galants hommes, que par toutes les raisons dites cy-devant, & ainsi elles n’ont qu’à en combattre les plus stupides & les plus grossieres.
Tout ce qui est dit cy-devant sur le sujet des hommes & des femmes, & de leurs differences, tant generales que particulieres ; leurs divers effets à raison de quelque dissemblance remarquées [sic.] entre les deux especes, & entre les particuliers ; & apres avoir montré la substance des genres & des especes par la perte des individus, & par leur rétablissement. Et apres avoir dé-[232]montré & prouvé le tout par raison & par bonnes authoritez, il reste à répondre aux invectives de Platon, d’Aristote & de Salomon ; & pour y parvenir, je dis que toutes les Histoires nous apprennent que Platon, & Aristote ont étez extrémement haïs, non seulement de toutes les belles & plus spirituelles femmes, mais même de celles qui ne l’étoient que mediocrement. Car Platon étoit ainsi nommé, à cause qu’il avoit les épaules trois ou quatre fois plus larges que l’ordinaire des autres hommes. Il étoit haut & vouté, & avoit les membres excessivement grands & gros ; de sorte qu’il étoit tres-fort, & ainsi il rem-[233]porta plusieurs fois le prix de la luite [sic.] aux jeux Olimpiques. Il étoit effroyable à voir ; il avoit la tête fort large, les joües grosses, les yeux & le nez gros, larges ; il ressembloit plustost à un Ciclope, ou à quelque lourd, ou puissant porte-faix, qu’à un honneste homme, ou à un grand Philosophe. C’est pourquoy il ne se faut pas étonner s’il étoit hay des femmes jusqu’au point qu’elles ne le pouvoient regarder sans horreur, & ainsi il ne voyoit point de femmes, parce qu’elles ne le pouvoient voir ny regarder, comme il est dit ; donc il ne faut pas s’étonner si en quelques endroits de ses œuvres il y a [234] mal traitté les femmes ; il a dit assez d’autres impertinences touchant divers excellents sujets, comme chacun sçait ; il n’est pas necessaire de les repeter icy, c’est pourquoy, &c.
Quant à son disciple Aristote, qui étoit fils d’un Medecin, il est certain qu’il est le Prince des Philosophes, & qu’il a été un des plus rares & des plus excellens hommes du monde pour l’esprit, mais pour son corps il étoit tres-diforme ; car il étoit de tres-petite taille, étant boiteux, bossu, & avoit les jambes tortuës, & les bras courts & tres disproportionnés en toutes les parties de son corps, & de plus il étoit begue & tres-[235]laid de visage, c’est pourquoy il étoit rebuté de toutes les femmes, & c’est de quoy on ne se doit étonner ; car on sçait bien que pour en estre aimé, qu’il faut estre ou bien fait, ou au moins n’estre pas difforme. Il est donc à considerer que toutes ces raisons ont fait le sujet des invectives que ces Philosophes ont fait injustement contre les femmes. Il n’y a dont aucun sujet de s’étonner, puis que non seulement n’ayant pas été aimés des femmes, ils en ont été souvent mocquez, méprisez & tres-mal traitez, ont écrit diverses choses contre elles, lesquelles toutesfois ils ont retractées lors qu’ils ont été hors des violences de [236] leurs passions, comme on voit dans la suite de leurs œuvres.
Quant à Salomon, il n’y a pas sujet de s’étonner que celuy qui a tant abusé de la sagesse de Dieu, ait aussi mal parlé du chef d’œuvre de sa Divinité qui est la femme, & il faut avoüer que la nature humaine étoit tres-perverse en lui, puis qu’il n’a employé qu’à son détriment & à son dommage, ce qui luy devoit servir à sa gloire & à son salut : ainsi il ne faut faire aucun fondement sur ce qu’il a dit contre les femmes. Il me seroit impossible, à moins que de faire plusieurs tres-grands & tres-gros volumes, de rapporter icy les noms des vertueuses, des prudentes, des [237] genereuses & tres-sçavantes femmes, qui ont brillé avec admiration dans leur siecle, & qui par leur vie ont embelly les livres des plus graves & des plus celebres Autheurs, qui en ont traité dans l’histoire ; c’est pourquoy je termineray ce discours, par les noms de quelques-unes que j’ay estimé des principales pour la science & les belles lettres.
[Le traité de Marguerite Buffet se conclut par une série d’éloges (p. 237-342). Nous reproduisons ici les noms de toutes les femmes citées : ]
- Christine, reine de Suede [237]
- Mademoiselle de Scurman [242]
- Mademoiselle Scudery [244]
- Madame la Duchesse de Montausier [248]
- Madame la Maréchale de la Mothe [251]
- Madame la Maréchale de l’Hospital [257]
- Madame la Comtesse du Plexis [259]
- Madame la Comtesse de la Suze [262]
- Madame de Bonnevaut [264]
- Madame de Gredeville [266]
- Madame de Miramminy [269]
- Madame de Lesclache [270]
- Mademoiselle des Jardins [274]
- Mademoiselle Guillaume [276]
- Mademoiselle Descartes [278]
- Mademoiselle Dupré [280]
- Mademoiselle Despinasse [281]
- Madame de Mortemard [283]
- Madame de Chaune [286]
- Julienne Morelle [288]
- Marie Clemence Ruoti [289]
- Madame la Vicomtesse Dauchy [290]
- Mademoiselle de Gournay [291]
- Marguerite Morus [293]
- Princesse Clotilde [295]
- Indegonde d’Espagne [296]
- Blanche de Castille [297]
- Jeanne de Bourbon [298]
- Catherine de Medicis [299]
- Reine Marguerite, Duchesse de Valois [301]
- Marguerite de France, Duchesse de Savoye [303]
- Louise de Lorraine, Princesse de Conty [304]
- Claude Catherine de Clermont, Duchesse de Raix [306]
- Catherine d’Espagne, Reine d’Angleterre [307]
- Isabelle Infante d’Espagne, Archiduchesse des Pays-Bas [309]
- Marguerite d’Autriche, Duchesse de Parme [310]
- Anne de Bins [312]
- Cassandre [313]
- Bestizia Gosadina [315]
- Martiane [317]
- Cornelia, mère des Gracques [319]
- Tullia [320]
- Hortense [321]
- Sulpitia [321]
- Pamphile [322]
- Aspasie [322]
- la femme de Pompée [323]
- Tutole [324]
- la mère de Coriolanus [324]
- la mère d’Alexandre Severe [325]
- Meszac [326]
- Livia [327]
- Clelie [327]
- Fauste [328]
- Athenaïs [329]
- la fille de Pithagore [333]
- Hipathia [334]
- Themistoclée [334]
- Sapho [334]
- Marie Stuart [335]
- la sœur de Saint Gregoire [337]
- Sainte Brigide [338]
- Sainte Catherine, Princesse d’Alexandrie [338]
- Sainte Catherine de Sienne [339]
- Sainte Gertrude [340]
- Sainte Therese [340]